Le journal de Karl, miroir d'une âme
A Pâques 1926, un jeune prêtre, Walter Vinnenberg, est nommé vicaire de l’église paroissiale de l’Assomption et en même temps professeur de sport et de religion au lycée de Clèves. L’abbé avait été formé dans les mouvements de la jeunesse catholique et était membre du Quickborn (littéralement, en allemand: fontaine de jouvence). Apparu après la première guerre mondiale dans les cercles catholiques, ce groupement était l’un des nombreux mouvements de jeunesse qui se caractérisaient par le retour vers la nature, l’importance donnée à la communauté, un style de vie simple et clairement marqué, la responsabilité du travail de groupe, l’indépendance et la proximité avec les renouveaux théologiques. Les randonnées et les campements en faisaient naturellement partie, l’abstinence d’alcool et de tabac jouait un grand rôle. Le sentiment d’appartenir à une communauté reçut une nouvelle importance grâce à la liturgie : la messe célébrée en communauté, les efforts pour la communion fréquente et surtout le combat pour une nouvelle compréhension des symboles liturgiques furent théologiquement réfléchis et mis en pratique. Celui qui appartenait à l’un de ces groupements de jeunesse pouvait se considérer comme faisant partie de l’avant-garde du catholicisme allemand.
Ce groupe du Quickborn introduit au lycée de Clèves par l’abbé Vinnenberg a laissé une marque très profonde sur Karl. Il écrivait en 1933 dans son curriculum vitæ pour l’examen du baccalauréat :
« L’événement particulièrement marquant dans ma vie fut ma rencontre avec notre professeur de religion, quand il me demanda de faire partie d’un groupe de jeunes qu’il voulait créer. Ce que j’ai gagné, à compter de ce moment là, en richesse spirituelle et en endurcissement physique au travers de la vie dans ce mouvement de la jeunesse catholique, est proprement indicible. Celui qui n’a pas lui-même participé à un mouvement de jeunesse ne peut le comprendre ».
Le 3 février 1927, cinq jeunes se retrouvent pour la première fois dans l’appartement de l'abbé Vinnenberg. A partir de ce moment, ils se retrouvent au moins une fois tous les quinze jours. Tous les premiers lundis du mois, ils célèbrent la messe dans la chapelle de la « Münze ». Karl se charge du rôle de secrétaire de séance. C’est à partir de cette époque, qu’écrire son journal devient pour Karl un besoin et une habitude qu’il conservera pratiquement jusqu’à sa mort. On a conservé de lui 27 cahiers, dont deux sont considérés comme des fruits glanés au cours de ses lectures et qui témoignent de son cheminement intérieur. On ne peut déterminer combien de cahiers ont été perdus.
Le journal de Karl que l’on connaît aujourd’hui est donc né de ce simple premier cahier de séance, ouvert ce jour de février 1927.
Écrit dans l’écriture gothique nette, régulière et appliquée de Karl, il révèle au fil des jours les efforts que Karl fait pour maîtriser son corps et son âme, et il nous livre aujourd’hui les aspirations les plus secrètes de son être. Le journal se termine en juillet 1945 sur des mots presque illisibles, rédigés dans la souffrance et l’abandon, pour bénir à l’heure de la mort ceux qui nous haïssent.